Lutte contre le terrorisme : Au cœur des business de militaires

La courbe n’a fait qu’augmenter. Depuis le début du premier acte terroriste enregistré sur le sol burkinabè le 04 avril 2015, l’Etat a augmenté de façon croissante les dépenses liées à la lutte contre le terrorisme. Ces dépenses prennent en compte l’alimentation des hommes déployés sur le terrain, les primes d’opérations intérieures qui leur sont servies, les frais de carburant et de lubrifiants pour les patrouilles et autres sorties sur le terrain. De 2015 à 2021, le Burkina a dépensé de 143 074 394 francs CFA à 22 744 880 284 francs CFA pour ces trois rubriques. Cette augmentation de ressources financières semble rimer avec des pratiques de business indécent avec les services payés, des soupçons de détournement et d’enrichissement illicite. L’argent et la lutte contre le terrorisme, épisode 03

Le chef d’Etat-major général des armées adjoint le colonel major Célesti Simporé a rétropédalé. Le 12 août 2022, il a muté le capitaine Prospère François Boena de la direction budget et finance de l’Etat-major général des armées à la direction régionale de l’intendance de la troisième région militaire basée à Ouagadougou. L’officier subalterne ne rejoint pas son poste. Plus de cinq mois après, le 12 janvier 2023, le colonel major Célestin Simporé qui avait signé par ordre du chef d’Etat-major général des armées le colonel major David Kabré annule l’affectation du capitaine Prospère François Boena. Le message est clair.

L’officier subalterne reste à son poste. Qu’est-ce qui s’est passé pour que l’officier muté ne rejoigne pas son nouveau poste à la troisième région militaire ? Pourquoi l’Etat-major général des armées a constaté l’inexécution de la note de service et n’a pas tiré les conséquences de cette situation ? Faiblesse d’autorité ? ou erreur administrative ? En août 2022, selon nos informations, le capitaine Boena se préparait à cesser service et à confier les instances de son service à son successeur. La passation n’aura jamais lieu. Ce refus de rejoindre la direction régionale de l’intendance de la troisième région trouve un début d’explication dans le changement de l’histoire politique du Burkina.

Le 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré réussit à renverser le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba lui aussi tombeur de Roch Marc Christian Kaboré le 24 janvier 2022. Ce changement au sommet de l’Etat a ainsi entrainé ce statu quo jusqu’au rétropédalage du chef d’état-major général des armées adjoint. Selon nos sources, le capitaine Boena est un proche et promotionnaire du capitaine Ibrahim Traoré devenu Chef de l’Etat. Faut-il y faire un lien ? Contacté, l’intéressé dit n’avoir pas l’autorisation de s’adresser à la presse. Un autre élément intrigue dans cette affaire. L’Evénement a adressé le 09 janvier 2023 une correspondance à l’Etat-major général des armées pour comprendre la situation administrative de l’officier Boena.

Le chef d’état major général des armées adjoint, le colonel major Célestin Simporé. Ici, sur le plateau du journal télévisé de 20h de la RTB, le 13 octobre 2022 pour évoquer la tenue des assises nationales convoquées par le capitaine Ibrahim Traoré après son putsch du 30 septembre 2022

Le courrier a été réceptionné le même jour par les services de l’Etat-major. L’annulation de la mutation du capitaine Prospère François Boena est intervenue le 12 janvier 2023 soit 72heures après la réception de la correspondance de L’Evénement. Hasard de calendrier ou coïncidence ou volonté de donner un vernis administratif à une anomalie ? Cette dernière interrogation peut être répondue à l’affirmative. Jusqu’au bouclage de cette édition, L’Evénement n’a pas non plus reçu la réponse de l’Etat-major général des armées. Mais au-delà de ce constat, la mutation puis l’annulation peut révéler une situation.

Si le capitaine Prospère François Boena occupe le poste de caissier à la division budget et finance de l’Etat-major général des armées, c’est au regard de ce qui est considéré dans le milieu comme un poste juteux.  « Il y a d’importantes ressources financières à gérer là-bas (Ndlr division finance et budget) » souffle un gradé. Fantasme ou réalité ? « La division du budget et des finances est une boite à sous. Le budget de l’armée, les salaires, les frais de mission, les primes, les frais de carburant, les frais de renseignement sont gérés là-bas. Les grosses dépenses de l’armée se passent entre l’Etat-major général des armées et le ministère de la Défense nationale et des anciens combattants. » explique de son côté un haut responsable militaire.

Cette impression est aussi nourrie par d’autres activités lucratives que mènent l’armée depuis la dégradation de la situation sécuritaire. Banques, Sociétés minières, entreprises… elles sont plusieurs à recourir à l’armée pour des missions d’escorte ou de transfert de fonds ou encore de sécurisation d’installations.

De l’argent avec les escortes et autres services payés

Ces services sont offerts en contrepartie de paiement d’argent. L’armée de l’air fait ainsi des transferts de fonds et de personnels pour certaines banques dont les structures sont en province. L’Evénement n’a pas été en mesure de chiffrer les retombées financières de ces prestations de service. « La question des services payés au niveau de l’armée est difficile à saisir. Des régiments en province sécurisent des sites miniers contre paiement. Le centre des opérations gère aussi des missions payées, de même que les régions militaires ou à l’Etat-major général des armées. » témoigne un ancien ministre. Son propos est corroboré par un ancien chef de corps à l’intérieur du pays. Il affirme : « une société minière m’avait approché pour la signature d’un contrat. J’ai vainement cherché un modèle de contrat pour m’en inspirer. Ma hiérarchie m’a finalement dit d’établir mon propre contrat ».

Faire son propre contrat, voilà la réalité de ce qui se passe. Ce qui ouvre la porte à toutes sortes de combines et de gestion opaque des ressources financières issues de ces prestations de service. Le fruit de ces prestations fait l’objet de partage sans un retour dans les caisses de l’Etat. Selon nos informations « ce sont des contrats que très peu de personnes voient » et « il y a de grandes retombées financières ». Selon des sources bien introduites, en 2019, une mission d’escorte de l’armée sur la mine de Boungou dans la région de l’Est a été facturée par exemple à 10 000 000 de francs CFA. L’argent est généralement reparti entre les soldats qui exécutent la mission et la chaîne de commandement. La pratique consiste en une rétribution de 5 000 francs CFA à chaque soldat par jour de mission.

Le reste de l’argent est géré à l’Etat-major général des armées. Ces escortes, selon nos données, ont procuré en fin d’année 2021, 46 000 000 francs CFA à l’Etat-major général des armées. Selon nos informations, ces escortes et sécurisations sont effectuées avec les moyens de l’armée. Le plus souvent, les sociétés minières remboursent le carburant utilisé. Par exemple en 2021, 74 000 000 de francs CFA ont été restitués à l’armée de l’air pour le carburant utilisé dans le cadre des escortes au profit des sociétés. Mais cet argent est-il vraiment reversé dans les caisses de l’armée de l’air ou sert-il vraiment à « rembourser le carburant » de l’armée utilisé pour un service privé ? Le doute est permis. Selon les informations de L’Evénement, les autres raisons du coup d’Etat du 24 janvier 2022 sont aussi à rechercher dans les frustrations de jeunes pilotes qui étaient dans des missions de défense du terrain et constataient que les missions d’argent sont gérées de façon opaque par la hiérarchie.

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De novembre 2021 à janvier 2022, plus de 111 000 000 francs CFA ont été engrangés dans les missions d’escortes à l’Etat-major général des armées. Les paiements sont effectués soit par chèque, soit par virement dans un compte bancaire. En plus de l’armée, la gendarmerie nationale également exécute des services payés. Des contrats d’escortes ou de sécurisation sont signés directement entre des sociétés minières et la gendarmerie. « Chaque structure gère ses sous » confient plusieurs acteurs. Selon nos informations, nommé en 2019, le général Moïse Minoungou à son temps, avait demandé à toutes les entités des forces armées nationales de faire le point des ressources financières issues de ces services payés et l’usage qu’elles en faisaient. L’armée de terre avait répondu contrairement à la gendarmerie.

Le général Minoungou avait réagi dans la foulée en diminuant le soutien logistique de l’Etat-major général des armées à la gendarmerie. La règle de répartition de l’argent issu de ces missions est basée de la gendarmerie nationale qui date de plusieurs décennies. Il s’agit de 50% pour les éléments qui ont exécuté la mission ; 10% pour le commandant d’unité ; 10% pour le corps ; 10% pour la région et 20% pour l’Etat-major. En plus des services rémunérés, la gestion des ressources financières se joue aussi dans les budgets de fonctionnement des détachements. Un budget est élaboré pour chaque détachement pour son fonctionnement selon le nombre de militaires déployés et la mission assignée à ce détachement. Ce budget établi pour un fonctionnement de trois mois n’est pas lié à une opération militaire particulière. Chaque opération militaire fait l’objet d’un budget précis.

Grignoter les lignes des budgets de fonctionnement des détachements

Selon nos informations, une opération militaire coûte en moyenne plusieurs dizaines de millions de francs CFA selon l’envergure de l’opération, la zone géographique, le nombre d’hommes à mobiliser et la durée. Pour le fonctionnement quotidien, l’intendance militaire attribue des forfaits de fonctionnement aux détachements en plus du calcul des primes journalières de sécurisation, les frais de mission et la prime d’alimentation. Ces forfaits concernent des montants pour l’argent du renseignement, les actions civilo-militaires, les frais de santé, la maintenance auto, le génie.

 Par exemple, le budget maintenance auto ne concerne que des pannes mineures telles que des problèmes de bougies, de pneus. Il en est de même pour le budget santé qui ne concerne que les soins primaires. Lorsqu’il y a des complications et des problèmes de santé importants, le militaire malade est évacué. Il est pris en charge par l’infirmerie militaire. Selon nos informations, cet argent disponible et reparti de la région militaire, aux chefs de corps et aux chefs de détachements permet à certains de se mettre des sous dans la poche. Ainsi, il peut arriver qu’un chef de corps puisse grignoter sur les lignes budgétaires de fonctionnement en moyenne 1 à 5 000 000 de francs CFA sur un budget fourni pour une période d’un trimestre.

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Des missions exécutées en partie ou non exécutées mais l’argent non reversé

Si depuis 2022 les attaques de détachement ont drastiquement diminué ce n’était pas le cas les trois et quatre dernières années. Or l’armée a dû prendre les dispositions pour éviter les plaintes et grincements de dents des militaires dans les retards de paiement de primes et frais d’alimentation. Ainsi, les ressources financières sont remises au trésor pour la durée de la mission. La réalité est que certains détachements ne faisaient pas le nombre de jours prévu au départ. Lorsqu’il y a une attaque avec des pertes d’hommes importants le détachement était abandonné. Ce furent les cas de Nassoumbou, Tongomayel, Koutougou. Selon nos informations, après l’attaque du détachement militaire dans cette commune rurale du Soum le 19 août 2019 faisant 24 militaires tués, le trésorier a rendu compte que les terroristes avaient emporté l’argent du détachement. Vrai ou faux ? sa version laisse pantois selon une source militaire. Dans d’autres cas, la mission n’est pas effectuée mais l’argent n’est plus reversé.

L’équipe de relève de gendarmerie à Inata dans le Soum n’a par exemple pas assuré la relève après l’attaque du détachement le 14 novembre 2021 qui a coûté la vie à une quarantaine de gendarmes. Où cet argent prévu pour le fonctionnement du détachement est-il parti ? Seul le chef de détachement de l’équipe de la relève a la réponse.  Le constat aussi est qu’avant 2020, aucun franc n’était reversé. Est-ce à dire que le budget a toujours été consommé dans les détachements militaires alors que les attaques étaient nombreuses et les hommes morts pour la patrie se comptaient par dizaines ? Pour sûr, en 2020 sous le commandement du général Moïse Minoungou, l’Etat-major général des armées a reversé au trésor public selon des sources militaires plus de 300 000 000 de francs CFA comme reliquat des budgets des opérations de sécurisation du territoire national.

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