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Reporters de violence terroriste au Burkina Faso : Des journalistes aux multiples combats 

Le chargé de recherche à l’Institut des sciences de société (INSS) du centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST) Dr Lassané Yaméogo analyse dans ces lignes le travail des journalistes dans un contexte de violence terroriste.

Cet article est la synthèse d’une recherche menée dans le cadre d’un Projet de formation Sud (PFS) intitulé « Certificat en journalisme, communication et conflits », financé par l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur (ARES) de Belgique. S’appuyant sur des entretiens approfondis réalisés à Ouagadougou, en juillet et en août 2022, auprès de 11 reporters et de 4 responsables éditoriaux, il montre que les Reporters de violence terroriste (RVT) mènent, tout au long du processus de production de l’information, un combat se manifestant sous diverses formes : sous l’angle du format journalistique, des catégories de personnes pour lesquelles ils mènent le combat, thérapeutique, patriotique, et de non-renoncement.

Introduction

La présente recherche explore les conditions de production de l’information journalistique en contexte de crise sécuritaire au Burkina Faso. Elle s’intéresse particulièrement aux journalistes spécialisés dans la couverture des actes terroristes :  ceux qui affrontent les risques en couvrant en direct des assauts d’une extrême violence ou en s’embarquant dans des convois civilo-militaires humanitaires à destination de régions entièrement contrôlées par des groupes armés terroristes où le crépitement des armes rythme le quotidien des rares habitants qui y restent encore ; ou encore ceux qui s’embarquent dans une unité militaire bravant des engins explosifs improvisés ou essuyant des tirs de kalachnikovs. Nous les appelons dans cette recherche des Reporters de violence terroriste (RVT) à l’image des Reporters de guerre (RG). Nous tenons à marquer cette distinction au regard de la spécificité de la conflictualité qui a lieu au Burkina. Elle est moins un combat frontal que d’embuscades, d’attentats kamikaze, de pause d’engins explosifs, d’attaques ciblées contre des symboles de l’État, des forces de défense et de sécurité et des populations civiles, d’enlèvement et de viol de femmes. Il s’agit plus de terrorisme qu’une guerre conventionnelle, ce qui commande de sortir du généralisme pour privilégier le contextualisme

Nous nous intéressons à ces journalistes au combat qui risquent leur vie pour informer les populations des réalités du front. Nous voulons comprendre les motivations et les raisons qui les conduisent à un tel engagement ainsi que la manière dont ces journalistes rendent compte de cet engagement. In fine, il est question de mettre en lumière les formes que prennent leur engagement et leur combat face à la menace terroriste dont ils rendent compte et à laquelle ils sont eux-mêmes exposés. Les notions de ‘’combat’’ et d’‘’engagement’’ sont ainsi les concepts centraux autour desquels se développe la recherche. L’objectif étant de montrer comment le phénomène terroriste devient, dans le contexte burkinabè, l’espace d’expression d’un journalisme de combat et d’engagement et comment les productions journalistiques révèlent ce combat et cet engagement.

Méthodologie

Le matériau de base qui a servi à répondre au problème de recherche est obtenu grâce à des entretiens compréhensifs (Kaufmann, 2011) réalisés en juillet et en août 2022 à Ouagadougou. Les entretiens ont concerné deux catégories d’acteurs médiatiques : les Reporters de violence terroriste (RVT) au nombre de onze (11) dont une femme et quatre (4) responsables éditoriaux (rédacteurs en chef ou directeurs de publication) tous issus de divers médias d’information générale (radio, télévision, presse imprimée et presse en ligne)[1] diffusant ou éditant à Ouagadougou. Les reporters ont été sélectionnés sur base des critères suivants : i) produire des contenus factuels et inédits sur les actes terroristes ; ii) avoir une expérience d’au moins trois ans dans la couverture de la violence terroriste ; iii) avoir réalisé au moins trois reportages, enquêtes ou dossiers sur des terrains périlleux et extrêmement risqués (prise d’otages d’une extrême violence et assaut militaire de libération, s’embarquer dans des convois humanitaires bravant engins explosifs improvisés ou essuyant des tirs de kalachnikovs, être dans une patrouille militaire à la traque de terroristes, etc.). Les reporters et les responsables éditoriaux interviewés ont été anonymisés. Les reporters prennent le nom de ‘’Journaliste’’ suivi d’un chiffre (exemple : Journaliste3) et les responsables éditoriaux de ‘’Hiérarchie’’ suivi d’un chiffre (exemple : Hiérarchie1). Outre les entretiens, les publications de deux journalistes issus de la presse imprimée et de la télévision sont analysées pour illustrer la forme que prend le combat à travers les productions journalistiques. L’ensemble du matériau a fait l’objet d’une analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2012).

Principaux résultats

Le combat des reporters de violence terroriste est saisissable sous diverse formes : sous l’angle du format journalistique, des catégories de personnes pour lesquelles ils mènent le combat, thérapeutique, patriotique et de non-renoncement face aux risques.

  1. Le ‘’journalisme débout’’, l’incarnation du combat et de l’engagement des RVT

Les journalistes reporters de violence terroriste sortent des sentiers battus. Ils bravent les risques et les dangers pour s’inscrire résolument dans la pratique d’un « journalisme débout » (Neveu, 2009) c’est-à-dire un journalisme immersif, de terrain ou de contact. L’inverse du « journalisme débout »est le« journalisme assis » (Neveu, 2009). Ce journalisme est confiné à la rédaction et est orienté vers le traitement des éditoriaux, des chroniques, des billets, contrairement au « journalisme débout » qui, lui, reste profondément attaché au terrain. Les genres rédactionnels qu’ils utilisent couramment sont le reportage, l’enquête ou le dossier. Pour les RVT, le combat qu’ils mènent face aux actes terroristes, c’est d’être sur le terrain. Il n’existe pas de combat qui vaille en dehors du terrain. Pour eux, ce qui caractérise le journalisme de combat, ce sont « les interviews que les gens [leur] accordent sur le terrain et les productions factuelles inédites [qu’ils réalisent] dans le risque » (Journaliste2) ; c’est aussi être au contact avec « certaines réalités et non de reprendre les communiqués de l’armée » (journaliste4). Le combat est également le fait « d’être plus utiles en réalisant des reportages, des enquêtes et des dossiers qui permettent de mieux comprendre la crise » (Journaliste1).

Le lien étroit qui existe entre terrain et combat exclut d’office le « journalisme assis » du champ lexical de combat et d’engagement professionnel. Les RVT ne se revendiquent ni du courant du « journalisme assis », caractérisé par des analyses et des productions éditoriales in vitro, ni du journalisme de compte rendu, consistant en la médiatisation de communiqués officiels ou en la couverture d’évènements et d’activités commandés et rémunérés (Frère et Balima, 2003 ; Yaméogo, 2022a).

Le « journalisme débout » est le résultat de choix rédactionnels décidés par le RVT et/ou par sa rédaction et appartient à un gros genre spécifique que les journalistes burkinabè nomment par le vocable « Papier d’initiative personnelle (PIP) ». Le terrain constitue ainsi l’ADN de ce courant journalistique. Il traduit à lui seul le combat. Il est l’expression d’un engagement, un engagement au prix de la vie du journaliste reporter, mais nécessaire parce qu’il s’agit d’être utile à sa communauté en étant au front, comme les soldats, en lui fournissant une information vraie et factuelle et non une information imaginaire. À cette fin, le journalisme, c’est le terrain, c’est le contact avec les gens dont on relaie le vécu et le discours.

Le combat est également présenté par les RVT en termes de risque et de danger qui ne sont réels que lorsque le journaliste est sur le terrain. Or, dans le cas du journalisme de bureau ou du « journalisme assis », le risque est négligeable, ce qui fait du praticien de ce journalisme un non combattant. Le combat étant, avant tout, le risque, la peur, le traumatisme que le reporter affronte et vit sur le terrain. Il est le courage dont fait preuve le reporter qui s’embarque dans une unité militaire pourchassant des terroristes ou qui est dans un convoi humanitaire périlleux où la mort peut intervenir à tout instant.

Dans une certaine récurrence, des verbes d’action sont employés par les RVT pour illustrer leur engagement et le combat qu’ils mènent sur le terrain : ils soutiennent vouloir « dévoiler les défaillances et les abus », « informer utilement », « rapporter les souffrances »,  « raconter les vécus des gens affectés », « montrer que le phénomène existe », « présenter tous les contours du phénomène », « édifier les gens », « porter la voix des faibles », « présenter les faits qui permettent de conscientiser ».

  • Porter la voix des sans-voix, un discours thérapeutique

Les RVT inscrivent leur combat et leur engagement sur le terrain dans une logique de mise en visibilité ou de dévoilement des problèmes et des souffrances que vivent les personnes vulnérables et les victimes. Pour eux, l’action qui mérite d’être menée en urgence du point de vue journalistique, c’est de porter à la connaissance des autorités politiques la voix des sans-voix. La plume, le micro et la caméra sont perçus, par les reporters de violence terroriste, comme l’antidote à la souffrance des victimes. Ils sont un moyen d’expression des gens ordinaires permettant de saisir avec profondeur tous les aspects de la crise.

Ce faisant, ils pensent y contribuer en leur apportant une solution thérapeutique, un réconfort moral. Le combat qu’ils mènent est ainsi celui « de porter la voix des sans-voix » (Journaliste8), de « soulager les victimes », de « dissiper la psychose » (Journaliste4), « d’informer et de conscientiser le peuple » (Journaliste5). Contrairement à l’idéologie professionnelle dominante où c’est la voix de l’élite politico-administrative qui est prépondérante dans le discours médiatique (Yaméogo, 2022a ;2022b), dans le cas du « journalisme débout », c’est la voix du peuple ou des sans-voix qui est mise en avant, comme le témoignent ces journalistes : « Pour moi, ce qui est intéressant, c’est de s’intéresser aux plus faibles qui sont actuellement les déplacés internes. Moi, je veux faire découvrir les difficultés qu’ils vivent pour qu’on puisse leur apporter des solutions » (Journaliste1). « Le journaliste, c’est la voix des sans-voix ; il doit toujours s’intéresser aux plus faibles, aux personnes en difficulté, aux personnes qui ont besoin d’assistance. Toutes ces personnes ont besoin que leur histoire soit racontée, soit connue » (Journaliste8).

 Les titres des productions publiées ou diffusées traduisent de fort belle manière l’expression de ce journalisme dédié aux sans-voix. A titre d’exemple, le quotidien public Sidwaya a publié : « VDP déplacés internes », « femmes déplacées internes », « victimes de viols de terroristes », « femmes violées », « les exilés ». Omega TV a aussi diffusé des reportages intitulés « suppliciés du terrorisme », « soupir des réfugiés », « deuil silencieux des parents des héros », « miraculés de l’enfer », « résistance silencieuse ». Les RVT veulent voir leur travail impacter et les sans-voix et la société dans son ensemble. En cela, ils voient en leur engagement et leur combat un double enjeu : contribuer, d’une part, à informer les populations et les pouvoirs publics de l’ampleur des souffrances, des détresses, des atrocités et, d’autre part, jouer un rôle thérapeutique en faisant des colonnes et des antennes un exutoire pour les victimes. Recueillir des témoignages, de toutes parts sur le théâtre des opérations, apaise, selon eux, les souffrances, mais aussi répare les injustices. Ce rôle social de sauvetage est une source de fierté et de satisfaction pour le RVT. Des journalistes racontent à ce sujet : « Moi, j’ai eu à faire des reportages, et, après ç’a décanté des situations et j’étais content ; pour moi, c’est ça le journalisme » (Journaliste1). « (…) Quand vous faites ce genre de travail, et, après, les gens vous appellent pour témoigner, pour vous dire que grâce vous, les lignes ont bougé, vous vivez des moments de reconnaissance, et ça, ça vous galvanise » (Journaliste6).

  •  Entre professionnalisme et patriotisme

Si les RVT tiennent à la déontologie, ils ne la prennent pas comme allant de soi ou comme un principe sacré intangible. Dans leur imaginaire, l’intérêt général et la sortie de crise occupent une place prépondérante. Devant l’urgence sécuritaire, certains récusent le professionnellement correct. Il se dégage de leurs discours un double sentiment indissociable :  le patriotisme et le professionnalisme.  Leurs discours tendent à montrer que la première valeur doit l’emporter sur la deuxième. « Pour moi, le combat que nous devons mener, c’est d’être sur le terrain de certains trucs et de les relayer dans une certaine véracité, mais pas pour desservir l’armée, pas pour choquer l’armée. Il y a ce combat que nous menons dans nos rédactions, en relayant des informations justes et vraies, en essayant de dissiper la psychose dans la population » (Journaliste4). « Aujourd’hui, ce que nous pratiquons, ce n’est pas du journalisme calqué sur les règles d’éthique et de déontologie, mais c’est du journalisme sensible à la défense de la Nation. Donc, il y a un parti pris que le journaliste fait dans le traitement de l’information, non pas parce qu’il ne sait pas qu’il ne devait pas le faire, mais parce que lui aussi, il est engagé dans la défense de la Patrie. C’est le rôle qui est le nôtre dans le combat contre le terrorisme » (Hiérachie1).

Le journaliste ne relaie pas, par exemple, la vérité, mais plutôt « une certaine vérité » socialement et humainement admise et partagée et qui tire son fondement de la compassion, la solidarité, le patriotisme, comme publier des nouvelles qui « ne desservent ni ne choquent l’armée ». Même lorsqu’il relaie des « informations vraies et justes », il les associe aux valeurs sociales prônées, comme « dissiper la psychose dans la population ». Les journalistes interviewés se représentent leur profession et leur rôle en termes de solutions et de réponses concrètes qu’ils apportent à la crise sécuritaire. Ils sortent des sentiers battus pour inscrire leurs pratiques et leurs représentations du métier dans une action militante, un courant journalistique dans lequel les valeurs sociales l’emportent sur les valeurs professionnelles. Ils redéfinissent de nouvelles règles orientées vers un journalisme patriotique. « (…) C’est un exemple parmi tant d’autres pour montrer à quel point il y a de la censure que nous nous imposons au nom de la Nation » (Hiérarchie1).

  • Demeurer journaliste malgré les risques

Malgré les violences psychologiques et les risques qu’ils vivent sur le terrain, les reporters de violence terroriste restent déterminés à poursuivre le travail d’information des populations. Ils se lancent dans un autre combat, celui de ne pas succomber au traumatisme. Aucun n’envisage démissionner ou changer de profession du fait des risques et des violences de toutes sortes auxquels ils sont exposés. Ils affirment : « Pour moi, être journaliste, ce n’est pas comme une chemise qu’on peut porter et ôter quand on veut. C’est un sacerdoce et un risque à la fois, mais on se dit que la population a besoin d’être informé. Une fois qu’on est formé, qu’on a le virus du métier dans le corps, on est journaliste pour toujours » (Journaliste6). « Je me dis, peut-être, que c’est tout comme un soldat qui neveut pas déserter le combat ; moi aussi, je ne vais pas abandonner ma mission. Je n’abandonne pas parce que c’est nécessaire. Vous savez, quand un message est mal donné, ça augmente la psychose et je pense que si je peux faire quelque chose pour apporter une vraie information, pour éclairer l’opinion publique par rapport à une certaine situation, je le ferai. Peut-être, c’est mon mental, mais si j’ai choisi d’être journaliste, je dois continuer mais pas renoncer » (Journaliste4).

Risques, violences et stress post-traumatique, au lieu d’être une source de déstabilisation du journaliste, sont au contraire pour lui des moments d’introspection conduisant à davantage de combat et d’engagement professionnels. Ces contraintes se présentent au journaliste comme un défi qu’il doit absolument relever. Des risques qui font dire à Bizimana (2006, p. 84) qu’« à l’instar des militaires qui mènent la guerre, les journalistes qui la rapportent le font au péril de leur sécurité et de leur vie ».

Conclusion

Cette recherche a permis de comprendre ce qui fonde et légitime le combat et l’engagement des journalistes reporters de violence terroriste au Burkina Faso. Ces journalistes qui risquent leur vie pour informer les populations des atrocités que commettent les groupes armés terroristes sont attachés à des enjeux et des valeurs à la fois journalistiques, humanitaires et existentialistes. Ils mènent le combat sur plusieurs fronts, faisant du journalisme un outil de résistance et de résilience à la violence terroriste. Ils se gardent de toute idée de renoncement malgré le traumatisme qu’ils subissent et le danger permanent auquel ils sont exposés, s’autoreprésentant comme le soldat en guerre qui ne doit en aucun cas déserter le front. L’idéal journalistique qu’ils définissent dans ce contexte de crise est leur attachement à leur Nation (le patriotisme) et au professionnalisme.

Références

Bizimana, A.-J. (2006). “Les risques du journalisme dans les conflits armés.” Communication, vol. 25, n°1, p. 84–111.

Frère, M. S., & Balima, S. T. (2003). Médias et Communications sociales au Burkina Faso: une approche socio-économique de la circulation de l’information. Paris: L’Harmattan.

Kaufmann, J. C. (2011). L’entretien compréhensif. Armand Colin.

Neveu, É. (2009). Sociologie du journalisme. Paris : La Découverte.

Paillé, P., & Mucchielli, A. (2012). Chapitre 11-L’analyse thématique. Collection U, p. 231-314.

Yaméogo, L. (2022a). Médias publics au Burkina Faso: entre journalisme d’État et renouveau médiatique. Paris : Éditions L’Harmattan.

Yaméogo, L. (2022b). »La polyphonie du discours journalistique sur le terrorisme : une analyse de la presse quotidienne sur les attentats de Ouagadougou de janvier 2016 et d’août 2017″, REFSICOM [en ligne], VARIA, mis en ligne le 28 février 2022. URL: http://www.refsicom.org/1093


[1] Les médias concernés sont la RTB Télé, la RTB Radio, le quotidien Sidwaya, BF1, Oméga Médias, lefaso.net.

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