C’est probablement un risque et un vrai risque que d’oser émettre un point de vue qui, sur bien des aspects, ne va pas dans le sens des idées dominantes exprimées surtout à travers les médias sociaux et les réseaux sociaux ; surtout lorsqu’on a été un membre du gouvernement de l’ancien président de la transition le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Mais entre ne courir aucun risque en se taisant alors que les libertés fondamentales sont menacées et s’exposer à une sorte de lynchage via les médias sociaux et les réseaux sociaux en émettant une opinion susceptible de contribuer à redresser le gouvernail du navire burkinabè, il n’y a pas à hésiter.
Ce faisant, je sollicite d’emblée la compréhension de ceux dont les idées seraient contraires aux miennes. Du reste, dans une société démocratique, il n’est ni souhaitable, ni possible de parvenir à ce que tous les citoyens aient les mêmes idées et les mêmes convictions.
Que d’épreuves politiques en douze (12) mois !
Venons-en maintenant aux faits : c’est peu de dire que le Burkina Faso va mal. Il va même très mal. Ainsi, depuis environ sept (07) ans, il y a une détérioration tendancielle prononcée de la situation sécuritaire avec comme conséquences des morts, des blessés, des déplacés internes et des destructions d’infrastructures socioéconomiques et administratives.
Une telle situation étant due, au moins en partie, à la mauvaise gouvernance administrative, économique et sociale de la République, il s’en est suivi une instabilité politique qui a vu le personnel politique démocratiquement élu sous la bannière principale du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) du président Roch Marc Christian Kaboré céder la gestion de l’Etat à une équipe issue du coup d’Etat militaire du 24 janvier 2022 mené par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba président dudit mouvement.
Alors qu’avec ce dernier, l’on croyait que la Transition irait à son terme de trente (30) mois fixé en accord avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un autre coup d’Etat militaire conduit par une partie du MPSR renversait le lieutenant-colonel P.H. S. Damiba le 02 octobre 2022 ouvrant ainsi une sorte de phase 2 de la Transition. De ce dernier coup de force, il importe de retenir que les résultats jugés mitigés de la lutte contre les extrémistes armés et certaines décisions politiques perçues comme inopportunes au sein de l’opinion publique ont servi à alimenter la mobilisation de nombre de Burkinabè de tous horizons (dont des militaires) à travers des mouvements et des fronts qui a finalement eu raison de ce que d’aucuns qualifient de MPSR 1.
Des institutions judiciaire et de régulation des médias à dynamiser
Ces vicissitudes politiques qui se produisent à la vitesse grand V au Burkina Faso ont pour miroir les médias traditionnels mais aussi et surtout les médias sociaux et les réseaux sociaux, via lesquels les messages écrits, audios ou vidéos émis par des leaders d’opinions et par le commun des mortels sont partagés. Les premiers, soucieux de l’application des règles d’éthique et de déontologie du métier de journaliste, font preuve d’un professionnalisme rarement mis cause.
Par contre, les seconds dont tout le monde peut se servir quels que soient son niveau d’instruction et ses motivations réelles, deviennent facilement des outils utilisés pour violer les principes élémentaires de l’Etat de droit démocratique qui, paradoxalement, ont été des catalyses pour l’avènement de ces canaux de communication. Cette situation est davantage compliquée par le fait que le Conseil supérieur de la communication (CSC) dont la nomination du président vient d’avoir lieu n’a pas encore retrouvé sa vitesse de croisière. De plus, les difficiles conditions de travail de la Commission de l’informatique et des libertés (CIL) et des institutions judiciaire et policière semblent ne pas leur permettre de jouer efficacement leur rôle.
Ces temps difficiles pour les libertés d’expression et de presse
C’est ainsi que celui qui ose exprimer la moindre parole estimée discordante face à l’espèce d’unanimisme qui est en train de se former, formuler la moindre critique (par rapport aux certitudes ambiantes) à l’endroit ou non des autorités actuelles et particulièrement du président de la Transition Ibrahim Traoré s’attire ipso facto les foudres des partisans du chef de l’Etat. Des médias, des journalistes et d’anonymes citoyens l’ont appris à leurs dépens. C’est pourquoi, par exemple, la déclaration des Organisations professionnelles des médias (OPM) rendue publique le 18 décembre 2022 est bien à propos : opportun dans le temps, mesuré dans le ton et robuste dans le fond.
Ce contexte commande que l’action des autorités politiques soit plus vigoureuse car à l’exception du communiqué à minima du 05 décembre 2022 signé du porte-parole du gouvernement Rimtalba Jean-Emmanuel Ouédraogo, ministre chargé de la communication, aucune autre initiative n’a été entreprise pour dissuader les fossoyeurs des libertés fondamentales des citoyens. Dans ce communiqué, il s’est inquiété de la « surenchère verbale » et des « dérives de langage » alors qu’en lieu et place de ces inquiétudes, le gouvernement devait être appliqué à ces individus la rigueur de la loi.
Nos autorités et leurs soutiens auraient tort de considérer les médias, quels qu’ils soient, comme leurs ennemis ; d’abord parce que bien qu’issus de coups d’Etat, les MPSR 1 et 2 ont plutôt bénéficié plus d’une fois de la bienveillance des médias traditionnels qui, en faisant leur travail de façon professionnelle, ont évité d’envenimer le climat politique, refusé de faire le jeu de personnes malintentionnées qui leur servaient des fake news en espérant qu’ils les publieraient ou les diffuseraient et toujours soutenu les forces de défense et de sécurité (FDS), les volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et (même) des dirigeants actuels.
Les hommes et femmes de média sont des alliés objectifs de la Transition
Ils l’ont fait par patriotisme en se démarquant des déclarations creuses ou dithyrambiques, par civisme en tant qu’outils citoyens de défense de la démocratie et par nécessité dans la mesure où ils sont des gagne-pains pour les patrons de presse et les employés, que le terrorisme a contribué (avec les factures impayées par l’Etat) à fragiliser financièrement. Par voie de conséquence, menacer un journaliste, suspendre un organe d’information, interdire un média, c’est, dans le fond, se priver d’un allié important (dans un contexte de lutte contre le terrorisme) dont les erreurs supposées ou réelles peuvent trouver des solutions par le biais d’échanger francs et sincères.
Le MPSR 2 est advenu, a-t-on argumenté avec force, dans le but de corriger les erreurs du MPSR 1 et on ne doit pas douter de la bonne foi de ses premiers responsables. Subséquemment, il faut éviter de commettre d’autres erreurs en considérant ces alliés que sont les médias et journalistes comme des adversaires dans le meilleur des cas et comme des ennemis dans le pire.
Confrontés à la crise sécuritaire qui, apparemment, s’amplifie, on peut comprendre l’inconfort et la frilosité des dirigeants de la Transition. Néanmoins, ces derniers doivent savoir que le choc des idées qui est l’une des données fondamentales en démocratie est salutaire mais que le règne de la pensée unique est suicidaire. Dans le premier cas, le salut réside dans le fait que l’acceptation de la discussion induit des interactions intellectuelles pacifiques, donne l’occasion aux parties de se défouler et d’évaluer chacune la pertinence de ses réflexions en les comparant à celle des autres et, à défaut d’un compromis ou d’une position communément partagée, permet de connaître les points d’accord et les points de désaccord.
Evitons le suicide à tout prix !
Le reste est une question de rapport de forces dans l’arène sociale dans laquelle certaines l’emporteront sur d’autres. Dans le second, le suicide est inscrit dans les gênes de la pensée unique étant donné qu’elle oblige les individus à se conformer aux idées considérées ou perçues comme majoritaires ou dominantes. Ici au Burkina, elle pourrait se présenter comme la domination idéologique par les canaux cyber-médiatiques de personnes se disant soutiens du président de la Transition I. Traoré ; lesquelles ne supportent aucun point de vue différent, encore moins contraire, aux leurs. Elles assimilent alors leur posture à celle des défenseurs de l’intérêt général qui doit primer sur les libertés et responsabilités individuelles.
Dans cette lancée, les conventions et les traités que le pays a signés et/ou ratifiés peuvent être foulés au pied allègrement comme ce fut le cas à travers le saccage de certaines enceintes diplomatiques et l’appel au meurtres de certains étrangers vivant au Burkina Faso.
Telle une bulle, elle pourrait enfler continuellement jusqu’à exploser, car les sociétés humaines ont ceci de particulier qu’elles s’autorégulent, indépendamment de la volonté des individus, à partir d’une certaine ampleur des contradictions qui les minent.
Issaka SOURWEMA
Dawelg Naaba Boalga