De tous les écrits qui nous ont été donnés à lire sur la situation à l’université de Ouagadougou, ceux du président de l’ANEB et du Dr I SONDE ont retenu notre attention. Le président de l’ANEB écrit ceci : « Il y a une cause qui a conduit au chevauchement des années ; si on s’attaque aux conséquences en laissant la cause, cette dernière produira les mêmes effets.
Le Dr issaka SONDE écrit : « à chaque crise universitaire, on fait juste un traitement symptomatique, beaucoup de promesses et le mal reste en l’état ou du moins va de mal en pis ».Plus loin il ajoute : « le blanchiment technique ne semble être que le commencement des problèmes. » En effet, le président de l’ANEB prévient : « nous sommes contre le blanchiment technique ».
Que dire de plus ? Que faire de plus, sinon analyser lucidement les causes et proposer humblement des pistes de solutions possibles.
Tout d’abord, nous parlerons de chevauchement de semestres car le système LMD met l’accent sur la semestrialisation et non plus sur l’’année académique.
armi les causes qui expliquent la situation catastrophique de l’UO,nous allons cibler les principales qui sont incontournables à reconnaîtreet à éradiquer avec les thérapies appropriées.
1) le système LMD en question
Ce système,adopté par les Etats membres de l’UEMOA,a été instauré dans un contexte déjà très difficile à l’UO, caractérisé par:
*un doublement des effectifs d’étudiants occasionné par l’invalidation intervenue en 2000.
*les grèves successives des enseignants et des étudiants.
*la fermeture de l’université de Ouagadougou
Ces trois faits ci-dessus mentionnés ont entraîné un retard de plus de six mois, soit, tout un semestre.
Le climat n’était donc pas apaisé pour permettre une meilleure compréhension et assimilation de ce nouveau système pertinent mais très exigent en terme de mesures d’accompagnement obligatoires
Dans un tel contexte délétère,le système LMD ne pouvait qu’être soit rejeté par certains membres de la communauté universitaire,soit très mal compris et mal assimilé par la majorité des étudiants et surtout par ceux qui sont chargés de l’appliquer à savoir,les autorités universitaires et les enseignants.
En effet, une majorité d’enseignants qui n’ont pas eu à participer aux différents séminaires et ateliers sur le LMD, ignorent les fondamentaux du LMD,à savoir les notions telles que :
La semestrialisation ;
la capitalisation ;
l’unité d’enseignement ;
le crédit ;
la professionnalisation,
la compensation…..
Or,adopter le LMD exige de rénover profondément tout le système d’enseignement supérieur en mettant au centre des préoccupations, la réussite de l’étudiant et surtout son insertion dans la vie professionnelle.Malheureusement,les mesures d’accompagnement obligatoires suivantes ont été négligées quand bien même les autorités universitaires ont laissé entendre que des moyens financiers conséquents ont été alloués par l’UEMOA à cet effet. Ce sont :
* l’installation des structures d’information et d’orientation à l’intention des étudiants : le jeune bachelier nouvellement inscrit, est abandonné à lui-même à l’UO.
* la conscientisation des étudiants, sur l’importance du travail personnel en mettant à leur disposition des supports de cours ou en les orientant vers des sites internet bien ciblés
* la mise à la disposition des étudiants de structures pour la recherche documentaire et l’investigation scientifique : Les capacités des bibliothèques actuelles sont largement dépassées ; la connexion internet est défaillante
* le recensement (en attendant de construire) et la gestion centralisée de toutes les salles au sein de l’UO ayant la capacité de 25 ; 50 ; 100 places pour les enseignements de proximité (Travaux dirigés) : la mauvaise gestion des salles a eu pour conséquence, soit la suppression de certains TD, soit leur programmation pour des grands groupes d’étudiants (100 et plus), solutions de facilité qui ont altéré la qualité de l’enseignement
* la construction urgente des laboratoires de travaux pratiques équipés pour les UFR SEA ; SVT ; SDS. :
Les travaux pratiques sont obligatoires car ils permettent de donner aux étudiants le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Leur négligence prive l’étudiant des qualités suivantes : esprit d’observation ; esprit critique ; esprit d’analyse ; esprit de synthèse.
* la conscientisation des enseignants sur la nécessité absolue de revoir le contenu de leurs cours en vue de les adapter aux réalités de notre monde actuel et surtout la nécessité :
* à enseigner autrement c’est-à-dire,en utilisant les techniques pédagogiques modernes,et en considérant les étudiants comme des acteurs adultes responsables de leur formation
* à évaluer autrement c’est-à-dire évaluer pour valoriser et non pour sanctionner ou sélectionner.Un exemple : les cours de math et de sciences physiques ne sont pas les mêmes selon qu’ils s’adressent à des étudiants en SEA ou en SVT. Le programme de math et sciences physiques pour SVT est logiquement élaboré par le conseil scientifique de SVT et proposé à l’enseignant de math et à l’enseignant de sciences physiques qui sont tenus de le respecter. Or cette démarche n’est nullement respectée ; c’est l’enseignant de math ou de sciences physiques qui élabore tout seul son cours dans son bureau et qui vientl’imposer aux étudiants de SVT. Le résultat est qu’on enregistre des résultats catastrophiques (sur plus d’un millier d’étudiants en S1, au plus une vingtaine a la moyenne en math par exemple).
2) Les chevauchements des semestres en question
Le semestre est la durée périodique de l’enseignement.Chaque semestre comporte 14 à 16 semaines réservées à des enseignements précis, suivi des évaluations et enfin des délibérations. Les cours,les évaluations et les délibérations se font obligatoirement durant le semestre ciblé,avant de passer au semestre suivant.L’étudiant inscrit à ce semestre doit le valider (c’est-à-dire engranger soit tous les crédits du semestre, soit un certain nombre de crédits bien précis) avant de passer au semestre suivant. Cette démarche comme vous le constatez, exige une rigueur sans faille dans le respect strict des emplois de temps. En effet, les cours évaluations et délibérations qui ne sont pas terminés dans un semestre donné sont exécutés dans le semestre suivant réservé à un autre type de cours qui ne peuvent être suivis par l’étudiant que s’il a suivi et validé les cours du précédent semestre. C’est la succession de tels débordements sur les semestres suivants qui est responsable du chevauchement inextricable des semestres.
Pourquoi il y a Chevauchement : voici quelques cas de figures :
*Un enseignant ne respecte pas l’emploi du temps inextensible soit par négligence,soit parce qu’il est en mission, soit parce qu’il n y a pas de salle disponible.
*un enseignant finit son cours, et programme l’évaluation mais oublie de remettre le sujet à la scolarité : les étudiants se présentent pour composer et constatent qu’il n’y a pas de sujet de composition. Il faut au plus une semaine pour une autre programmation. Imaginez la suite…..
*les cours, et les évaluations sont terminés mais les enseignants ne sont pas disponibles pour les délibérations qui doivent impérativement se faire avant le semestre suivant.Les enseignants ne sont pas disponibles soit par négligence, soit parce qu’ils n’ont pas été prévenus, soit parce qu’ils sont en mission. Les étudiants sous pression attendent en vain leurs résultats. Imaginez la suite…..
* les cours sont terminés mais les travaux pratiques n’ont pas débuté ou ont débuté, mais face au nombre pléthorique d’étudiants, ils ne peuvent pas être terminés à temps et débordent largement sur le prochain semestre. (Cas de SEA /SVT)
* les cours sont terminés mais les étudiants boycottent l’évaluation pour des raisons diverses quelquefois très pertinentes (TD non exécutés ou mal exécutés ; indisponibilité des salles, non respect du délai pour la programmation de l’évaluation)
* les évaluations sont faites, mais certains enseignants (toujours les mêmes) ne corrigent pas à temps leurs copies ; ces enseignants peuvent prendre 3 mois pour corriger 30 copies. La défaillance d’un seul enseignant suffit à gripper tout le système de semestrialisation.
Toutes ces causes ont pour conséquence le débordement sur le prochain semestre qui ne débutera que si les résultats des délibérations du semestre précédent sont disponibles.
Pour gagner du temps, il est arrivé qu’on autorise tous les étudiants à suivre le cours du prochain semestre sans attendre les résultats du précédent semestre ; il faudra alors s’attendre à faire les tris ultérieurement ; ce qui est très fastidieux sans le suivi informatisé des résultats de chaque étudiant.
Ces différents cas de figure peuvent faire perdre deux à trois mois, dans le semestre, sinon plus.
On se retrouve ainsi avec des semestres de 4 à 8 semaines au lieu de 14 à 16 semaines pour donner les cours, les TD, les TP et faire les évaluations. Imaginez la suite.
C’est cet ensemble de situations inextricables ajouté à leurs conditions de vie et de travail fortement dégradés, qui ont abouti à l’extrême frustration des étudiants, et à l’extrême démotivation des enseignants.
L’étudiant Burkinabè s’estime incompris, méprisé, abandonné par ceux-là même qui crient à longueur de journée : « la jeunesse, est l’avenir de la Nation ».
L’enseignant de l’UO quant à lui subit de plein fouet tous les jours la fureur des étudiants. Il s’estime méprisé par les autorités. L’exemple de la promesse de bureaux depuis 2008 est là pour attester cette négligence des autorités à leur égard ; des enseignants ne viennent à l’université que pour donner leur cours avec appréhension.
On occulte souvent cette question : la crise à l’université ne perdure-t-elle pas à cause de la mauvaise gouvernance au sommet des universités ? En d’autres termes, a-t-on mis l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ? Les fonds alloués par l’UEMOA pour accompagner le LMD ont-ils été bien gérés ? La mésaventure très regrettable vécue par le Premier ministre ne traduit elle pas l’état d’esprit qui habite ces autorités du ministère et de l’université qui ont préféré se faire bien apprécier par le premier ministre en restaurant en catimini certaines infrastructures en piteux état depuis plus de cinq ans, plutôt que de le laisser vivre in situ les réalités vécues par la communauté universitaire ? Mettre les enseignants et les étudiants dans des conditions de travail acceptables est le dernier de leur souci.
3) Quelques pistes de solutions
-Respecter les engagements déjà pris(construction et équipement des laboratoires de travaux pratiques, aménagement des bureaux des enseignants)
-Mettre l’accent sur la construction de salles pour les enseignements de proximité (TD)
-Rationaliser la gestion des salles déjà existantes
-Ré expérimenter le double flux
-Recruter du personnel complémentaire qualifié pour les scolarités des UFR
-Informatiser les acquis pédagogiques de chaque étudiant durant tout son parcours à l’université.
-Résoudre un tant soit peu les conditions d’études des étudiants
-Mettre des supports de cours à la disposition des étudiants
-Installer la connexion internet « haut débit » pour toute la communauté universitaire
-Aménager la cour de l’université de Ouagadougou (espace vert ; butimage des voies,parkings pour vélo, engins à deux roues des étudiants, groupe de relai pour éviter les coupures d’électricité)
-Résoudre la crise dans sa globalité et non de façon parcellaire
4) Conclusion
La crise universitaire est imputable :
– aux autorités supérieures qui ne respectent pas leurs engagements (40 %)
-à l’indiscipline de certains enseignants (30%)
-à l’administration universitaire qui navigue à vue (20%)
-aux étudiants (10%)
La crise universitaire ne sera définitivement résolue que :
-par une prise de conscience collective de la communauté universitaire sur la gravité de la situation de leur outil de travail
– par une prise de conscience des autorités au sommet de l’état qui devront se convaincre que la voie pour l’émergence du Burkina Faso passe inévitablement par l’excellence de ses universités
Professeur ZEMOSSE