Réforme de la justice burkinabè : Un processus irréversible mais incertain (Suite)

« La réforme de la justice est une préoccupation majeure des Burkinabè aujourd’hui ». C’est du moins, l’avis du docteur en Droit public Pierre Claver Kibessoun Millogo. Selon ce chercheur au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), l’achèvement du dossier du putsch de septembre 2015, du procès Thomas Sankara et les avancées enregistrées dans le dossier du journaliste d’investigation Norbert Zongo témoignent des progrès importants réalisés dans le domaine de la justice. Toutefois, relève-t-il, les soucis de la justice burkinabè ne se limitent pas à ces questions. En dépit des progrès réalisés, les défis restent nombreux et fort importants, précise l’universitaire. Et pour lui, il ne faut pas se faire d’illusions. « Même si le processus de la réforme semble irréversible, bien malin serait celui qui pourrait prédire la suite du processus en cette période d’instabilités politiques marquées aussi par le terrorisme dans un pays engagé dans un processus de transition pour plusieurs années ». Dans cet article, Pierre Claver Millogo analyse en profondeur les justifications et le contenu de la réforme de la justice burkinabè. Il y évoque également la question de la mise en œuvre et des effets de ladite réforme.

 Le contenu de la réforme : les travaux de la C.N.R.R. et les Etats généraux de la justice

C’est en 2015 que la C.N.R.R. a organisé ses travaux sur la reforme de la justice. Les résultats devaient permettre au nouveau régime élu démocratiquement d’avoir des références pour organiser la reforme du secteur judiciaire (1). Mais auparavant, les Etats généraux de la justice avaient posé les bases en 1998 d’une reforme du secteur (2).

1-Les travaux de la C.N.R.R.

Les travaux de la Commission se sont déroulés en deux temps. D’abord, elle a fait un état des lieux du secteur de la justice et ensuite, elle a proposé des pistes de solutions pour ce qu’elle a appelé « les voies du renouveau[1] ».

Le diagnostic dans le domaine de la justice est fait, d’une part, à travers une caractérisation des crises multiformes qui affectent le pays, et, d’autre part, par l’établissement du lourd passif de crimes divers. Des crises multiformes dans les domaines de la justice ont jalonné l’histoire du Burkina Faso. Les nombreux entretiens, les auditions et les diverses informations collectées indiquent différentes causes des dysfonctionnements de la gouvernance du secteur de la justice ainsi que leurs principales conséquences. Le pouvoir judiciaire est important pour l’Etat de droit et la démocratie[2]. Il régule la société et est le gardien des droits, des libertés individuelles et collectives. L’incompréhension du droit moderne et les procédures complexes de la Justice rendent le système judiciaire suspect. Il est des fois accusé, à tort ou à raison, de divers maux. Le forum national de la justice de 1998 et les Etats généraux de la justice tenus en 2015 ont identifié des causes aux plans identitaire, statutaire, éthique, organisationnel et fonctionnel, notamment :

– l’ineffectivité de l’indépendance de la justice[3] ;  

– la faiblesse des moyens humains et matériels mis à la disposition de la justice : le pays compte en moyenne 2,5 magistrats pour 100 000 habitants en deçà de la norme de 10 magistrats pour 100 000 habitants3 ;

– la faible couverture du territoire en juridictions, le pays compte 24 Tribunaux de Grande Instance au lieu de 45 comme prévu;

– l’inexécution des décisions de justice et les fréquents manquements aux règles d’éthique et de déontologie.

Ces facteurs empêchent la Justice de jouer son rôle de facteur de paix sociale, et au contraire, engendrent le développement de l’incivisme, de la vindicte populaire et des troubles sociaux. Il existe aussi un lourd passif de crimes divers.La Commission a enregistré 5 065 dossiers de divers crimes.

Tous ces facteurs ont largement entamé sa crédibilité[4] et de nos jours, elle n’arrive pas à s’attirer la confiance que la Justice doit inspirer dans une société démocratique. Au vu du constat établi, la Commission a fait des propositions de réformes du secteur de la justice[5]. Pour la Commission, la réconciliation ne saurait être une prime à l’impunité, pas plus que le pardon ne saurait supprimer pas la réparation. « Le besoin impérieux de tourner la page ne doit pas nous dispenser de la lire[6] ».  Aussi, le mécanisme de réconciliation proposé prend en compte le règlement des affaires pendantes, soit par la voie judiciaire, soit par la voie extrajudiciaire. Pour lecas particulier des victimes de l’insurrection populaire d’octobre 2014, la Commission a dénombré pour les victimes de l’insurrection des atteintes aux personnes et aux biens. Il convient donc de prendre les mesures ci-après.  

 Pour les atteintes aux personnes :

– prendre immédiatement et totalement en charge les soins des blessés de l’insurrection ;

– indemniser les familles des victimes décédées ;

– indemniser les blessés.

 Pour les atteintes aux biens:

– indemniser au cas par cas, les victimes de pillages, de vols et d’incendies résultant de l’insurrection ou inspirés par un mobile politique ;

– prendre des mesures urgentes (telles que le soutien au financement concessionnel et les réparations, des politiques publiques idoines, etc.) pour permettre aux entreprises de redémarrer leurs activités.

 Mettre en place en urgence un fonds d’indemnisation des victimes, en vue de donner une suite diligente aux mesures ci-dessus.

 Pour les crimes économiques et autres atteintes aux biens : la commission propose de régler le passif de crime économique selon un schéma précis. Elle recommande fortement de simplifier, en ce qui les concerne, la procédure applicable en vue d’accélérer leur traitement. Le problème de l’exécution des décisions : La Commission a relevé que de nombreux cas de violations sont toujours pendants malgré leur jugement, faute d’exécution, soit parce que le jugement n’est pas rédigé, soit en raison des difficultés d’exécution. Pour le règlement non juridictionnel[7] : pour les cas qui ne peuvent pas faire l’objet de traitement judiciaire, soit parce que les voie judiciaires leur sont fermées, soit parce que les parties souhaitent un traitement extrajudiciaire, la Commission propose de :

 établir les faits, soit par enquête administrative menée par un organe indépendant, soit par aveu devant l’instance chargée de la réconciliation ;

 recourir si nécessaire aux mécanismes endogènes de réconciliation[8] ;

 déterminer les modalités d’indemnisation des victimes ou ayant droits et informer les victimes sur la possibilité d’engager la procédure civile, le cas échéant.

  Le renforcement de l’indépendance de la magistratureà travers :

– confier la présidence du CSM au premier Président de la Cour de cassation en lieu et place du Président du Faso et la vice-présidence au premier Président du Conseil d’Etat, en lieu et place du Ministre chargé de la Justice ;

– supprimer le pouvoir du ministre de la Justice de donner des instructions au parquet dans les affaires en cours ;

– uniformiser le statut des magistrats du parquet à celle du magistrat du siège du point de vue de leur carrière et de la discipline ;

– instituer l’obligation pour tout magistrat de démissionner avant de s’engager en politique ;

– renforcer le respect des règles éthiques et déontologiques[9] ;

– adapter le droit aux réalités culturelles nationales dans le respect des principes universels des droits humains.

Mais avant ces travaux de la CNRR, les Etats généraux de la justice avaient déjà posé les bases d’une réforme du secteur de la justice.

Les Etats généraux de la justice

Ces Etats généraux se sont tenus du 24 au 28 mars 2015 à Ouagadougou et ont abouti sur l’adoption d’un Pacte pour le renouveau de la justice[10] adopté le 28 mars 2015. Ce pacte contient un ensemble de recommandations à valeur juridique non contraignante à l’endroit des populations, des autorités politiques et des acteurs du secteur. Il a servi de référence pour l’amorce de la réforme de ce secteur au Burkina. Il comprend un préambule et un ensemble de dispositions relatives à certains aspects de la justice burkinabè et en particulier, l’indépendance de la magistrature, l’accessibilité du service public de la justice et le respect des droits humains qui sont les aspects à améliorer et qui ont été identifiés dans la politique nationale du Ministère en charge de la question.

Concernant le préambule, il rappelle les dispositions de la Constitution qui garantissent la séparation des pouvoirs[11] et l’indépendance du pouvoir judiciaire ; que sans une justice impartiale, indépendante et équitable, aucune démocratie n’est pérenne ; que, conformément à la Charte de la Transition une nouvelle justice doit constituer une rupture d’avec les pratiques inégalitaires du passé ; que les Pouvoirs judiciaire et exécutifs ont des devoirs envers tous les citoyens burkinabè, qu’ils doivent concourir à l’existence d’une justice équitable[12] pour tout le peuple burkinabè et qu’ils sont tenus de s’efforcer de promouvoir et de respecter les dispositions contenues dans le présent Pacte ; que le système judiciaire comporte de nombreuses insuffisances du pouvoir judiciaire, causes de la rupture de confiance d’avec les citoyens, notamment :

– l’influence du politique remettant en cause son indépendance ;

– la division interne des acteurs du pouvoir judiciaire ;

 – la fragilité des magistrats face aux pouvoirs économiques et politiques ;

– l’inadéquation et l’insuffisance des moyens mis à la disposition des acteurs de la justice ;

– l’insuffisance et l’inadéquation de la formation des acteurs de la justice ;

– la désagrégation des valeurs éthiques liées aux métiers de justice engendrant la violation des règles déontologiques et des tares comme la corruption, l’impunité, l’incivisme et le laxisme ;

– L’insécurité juridique et économique ;

Considérant enfin que les états généraux constatent que cette situation a eu pour conséquences :

– l’accroissement de la justice privé ;

– l’incivisme généralisé ;

– la désagrégation de la société ;

– l’intolérance.

Sur la base de ces constats dans le préambule, il propose les réformes suivantes qui concernent plusieurs aspects de la justice : Concernant l’indépendance de la Magistrature[13], il recommande la déconnexion du CSM de l’Exécutif et la fin de l’emprise de l’exécutif sur les nominations, les affectations et d’une manière générale sur la gestion de la carrière des magistrats[14]. Il recommande aussi l’amélioration du traitement salarial des magistrats et la fin des pressions exercées sur eux par l’exécutif dans le cadre de certains dossiers pendants dits sensibles[15].

L’amélioration des performances des juridictions a aussi été proposée avec notamment l’augmentation des moyens mis à la disposition des juges et des juridictions, l’informatisation su système de traitement des demandes d’établissement des casiers judiciaires et des certificats de nationalité, le fonctionnement effectif de la haute cour de justice[16], la poursuite des auteurs des crimes et délits lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, confier l’appréciation de l’opportunité des poursuites des infractions relevant de la justice militaire au Commissaire du Gouvernement.

Au titre de la moralisation de l’appareil judiciaire et plus particulièrement de la lutte contre la corruption[17] et l’impunité[18], le pacte recommande des poursuites disciplinaires et pénales contre les acteurs de la justice impliqués dans des cas suspects ou avérés de corruption, l’incitation des citoyens à la dénonciation de ces situation auprès des autorités compétentes, la dotation de l’inspection techniques des services des moyens adéquats pour mener des activités d’investigations et de contrôles afin de déceler ces cas et de transmettre les dossiers à justice et enfin de récompenser les acteurs qui se distinguent par leur bonne conduite et le refus de la corruption.

Au titre du respect des règles d’éthique et de déontologie[19], le pacte recommande la relecture du code d’éthique et de déontologie afin de le rendre contraignant, la mise en place d’un mécanisme de veille et de contrôle, le respect de l’obligation de réserve et de secret professionnel. Sur le plan de la reforme de l’accessibilité de la justice[20] qui est un des grands défis du système judiciaire burkinabè actuel, le pacte recommande la poursuite du processus de déconcentration actuel concernant toutes les juridictions du pays et dans toutes les localités, le renforcement du personnel en nombre et en compétences, la dotation des tribunaux départementaux et d’arrondissements en moyens nécessaires pour assurer leur bon fonctionnement, la dotation du fonds d’assistance judiciaire en moyens suffisants pour assurer l’aide, la construction et la rénovation des établissements pénitentiaires afin qu’ils répondent aux normes et l’assistance aux personnes qui sont dans des procédures judiciaires.

Au titre de l’accessibilité psychologique, il s’agit de confier les affaires familiales à des juges qui ont une certaine ancienneté, l’audition des enfants dans les affaires matrimoniales, la sensibilisation des populations à travers la politique nationale de la justice pour lever les barrières qui s’opposent à l’accès à la justice pour tous. Enfin et concernant la prise en compte des droits humains dans les procédures judicaires[21], le pacte a recommandé le respect de la présence de l’avocat dès l’arrestation et pendant la garde à vue qui est consacré par le code de procédure pénale, la fin des ordres de mise à disposition de la part du parquet, le respect du droit à l’image et des données personnelles des personnes arrêtées, le respect de la présomption d’innocence des personnes arrêtées, la consécration par la loi du droit à indemnisation des personnes ayant subi un préjudice du fait de la justice, l’effectivité du fonctionnement et l’augmentation des moyens mis à la disposition des juges pour enfants, le respect du droit de vote pour les personnes détenues.

Il ressort de cette analyse que les justifications de la réforme du secteur de la justice au Burkina sont nombreuses. Il est cependant possible de les synthétiser car elles concernent toutes les difficultés du fonctionnement de ce secteur de l’Etat et en particulier, l’indépendance de la justice, la corruption, la lutte contre l’impunité, le respect de l’éthique et de la déontologie, l’accessibilité de la justice, la justice équitable pour tous et le respect des droits humains dans les procédures judicaires qui constituent les grands défis de la justice burkinabè contemporaine et qui ont été identifiés par la C.N.R.R. et les Etats généraux de la justice qui ont servi de fondement aux réformes en cours[22]. Il convient maintenant d’examiner la mise en œuvre de la réforme et ses effets sur les différents aspects identifiés comme importants à réformer.

La mise en œuvre et les effets de la reforme

Cette réforme a été mise en œuvre sur plusieurs plans. Mais les domaines les plus importants qui présentent les défis les plus grands pour la justice burkinabè sont la question de l’indépendance de la justice, l’accès à la justice pour tous et la mise à disposition de ressources adéquates et suffisantes[23]. Il convient de déterminer comment la reforme a été mise en œuvre dans ces domaines (A). Cette réforme a produit des effets sur le fonctionnement de la justice et sur les moyens mis à la disposition des juges qu’il conviendra d’examiner (B).

La mise en œuvre de la reforme

Il convient d’examiner d’abord la question de la mise en œuvre de la réforme sur le plan de l’indépendance de la justice (1). Ensuite, il conviendra d’envisager le domaine des ressources et l’accès à la justice pour tous (2).

Dans le domaine de l’indépendance de la justice

Depuis la Transition politique de 2015, le statut de la magistrature a été réformé[24] : son indépendance est affirmée et garantie par la loi organique N°050-2015/CNT du 25 août 2015 portant statut de la magistrature et la loi organique N°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. En mars 2016, les décrets d’application ont été pris. La modification en 2015 de la Constitution ne consacre plus la présidence du CSM au président du Faso mais au président de la Cour de cassation. De même, la vice-présidence est désormais assurée par le président du Conseil d’Etat en lieu et place du Ministre de la Justice.

Le CSM se réunit en formation plénière, en commission d’avancement ou en conseil de discipline des magistrats. Il jouit d’une autonomie de gestion. La gestion des carrières et des nominations des magistrats revient désormais au CSM à travers le Secrétariat permanent. Le Secrétariat permanent constitue l’organe de gestion du CSM. Organisé en départements, il assure la mise en œuvre des décisions du CSM ou toute autre mission à lui confiée par le CSM. Il est dirigé par un secrétaire permanent qui a rang de président de chambre de la cour de cassation et est assisté de conseillers qui ont rang de conseillers à la Cour de cassation[25].

S’agissant du Conseil constitutionnel[26], il est l’institution compétente en matière constitutionnelle et électorale. Il est chargé de statuer sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances ainsi que la conformité des traités et accords internationaux. Il veille à la régularité, à la transparence et à la sincérité du référendum, des élections présidentielles et législatives. De même, il statue sur le contentieux et proclame les résultats des élections présidentielles et législatives. A ce titre, il joue un rôle important dans le domaine des droits politiques.

Sur le plan de l’indépendance de la magistrature[27], des actions ont été menées en vue de renforcer la confiance du justiciable en la justice et de créer les conditions pour le renforcement d’un appareil judiciaire réconcilié avec le principe d’indépendance. Il en est ainsi de la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la Constitution qui consacre la déconnexion du pouvoir judiciaire d’avec l’exécutif. De même, l’opérationnalisation du SP/CSM offre désormais l’avantage à la magistrature de mener des actions réelles tendant à concrétiser le principe d’indépendance de la magistrature. Cependant, l’insuffisance de personnels, du budget, le manque de matériels roulants du SP/CSM et les pressions exercées sur certains acteurs judiciaires constituent des entraves à l’effectivité de l’indépendance de la magistrature.

L’indépendance est souvent remise en cause ouvertement par certaines ingérences dans les procédures judiciaires venant d’autorités publiques, d’organisations de la société civile, de la population en général et même d’acteurs judiciaires (Rapport diagnostic des états généraux de la justice[28]).

Sur le plan de la crédibilité et de la lutte contre l’impunité, un certain nombre d’actions favorisant le traitement diligent, l’apurement du passif des dossiers de crimes économiques et de sang ainsi que l’encadrement du comportement des acteurs judiciaires ont été menées. C’est ainsi que des mesures visant l’apurement du passif des décisions non rédigées et la levée des obstacles pour le traitement des dossiers de crimes économiques et de sang ont été prises[29].

A cela s’ajoutent, l’adoption de la loi portant prévention et répression de la corruption et de ses décrets d’application ainsi que l’opérationnalisation de la Haute Cour de Justice (HCJ). Par ailleurs, le CSM, chargé de contrôler et de sanctionner les manquements à la déontologie, a adopté en 2017, une résolution portant code de déontologie des magistrats. Cependant, la persistance de la lenteur dans le traitement des dossiers, le non-respect des règles d’éthique et de déontologie des acteurs judiciaires constituent des entraves à la crédibilité de la justice[30].

Dans le cadre de la coopération judiciaire, il a été notamment intégré dans le dispositif normatif interne la loi portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la loi portant prévention et répression de la torture et pratiques assimilées, la loi portant lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées[31]. Au titre des accords de coopération, il existe des accords de coopération judiciaire et d’extradition entre le Burkina Faso et certains pays au niveau régional et international.

Dans la pratique, le Burkina Faso a adhéré à plusieurs cadres de coopération régionale et sous régionale tels que le WACAP, ARIN-WA, le GIABA, le G5 Sahel, la plateforme du Sahel, l’ONUDC, etc. Ce fonds a permis d’assister 257 personnes de 2015 à juillet 2017 dont 63 femmes. La proportion de justiciables assistés est relativement satisfaisante car il est passé de 37% en 2015 à 40% en 2016, contre une cible de 70% en 2017.

Sur le plan du fonctionnement du service public de la justice, en vue de faire face aux défis induits par des phénomènes sociaux nouveaux comme le terrorisme et la criminalité transnationale organisée et pour assurer un fonctionnement efficace des juridictions, de nouveaux textes ont été adoptés[32]. Il s’agit notamment de la loi instituant des techniques spéciales d’enquête ; de la loi portant procédure applicable devant la chambre criminelle et la création de deux pôles judiciaires spécialisés, l’un portant sur la répression de la criminalité économique et financière et de la criminalité organisée à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso et l’autre spécialisé dans la répression des actes de terrorisme à Ouagadougou (TGI Ouaga II).

Cependant, des difficultés entravent le bon fonctionnement des juridictions. En effet, on relève le vide juridique dans certains domaines, l’obsolescence de certains textes, l’absence de textes d’application, les difficultés rencontrées dans l’application de certains textes, la faiblesse des moyens financiers alloués aux juridictions ainsi que celle des ressources humaines et l’absence d’un corps de police judiciaire placé sous l’autorité exclusive du Parquet. Spécifiquement, la dyarchie factuelle de la police judiciaire soumise à l’autorité de son corps d’origine et à celle du parquet, entraîne des difficultés dans le traitement des instructions du parquet dans le cadre des procédures judiciaires.

Toutes ces difficultés entravent le traitement diligent des dossiers et la délivrance des actes de justice. En effet, en matière civile et commerciale, le ratio décisions rendues par affaires nouvelles en 2016, de l’ensemble des tribunaux de grande instance est de 78,1%[33].  

En matière correctionnelle, le nombre de décisions rendues par affaires nouvelles en 2016 des TGI est de 85,3%. En d’autres termes, le stock des affaires en cours dans les chambres correctionnelles est de 14,7%[34].  

Il y a des progrès indéniables à travers les reformes entreprises mais comme déjà mentionné des difficultés persistent. Voyons maintenant les reformes entreprises dans le domaine des ressources et de l’accès à la justice pour tous.

Dans le domaine des ressources et de l’accès à la justice pour tous[35]

Depuis 2015 et l’amorce des reformes dans le secteur de la justice, de nombreux progrès ont été enregistrés dans ce domaine.

D’abord, sur le plan des ressources, il faut souligner que le secteur « Justice et droits humains » est pourvoyeur d’emplois de profils diversifiés. On y retrouve d’une part, les personnels spécifiques à savoir les magistrats, le personnel du corps des greffiers, le personnel de la garde de sécurité pénitentiaire, le personnel des droits humains, les avocats, les huissiers et les notaires et d’autre part, le personnel technique tel que les inspecteurs et les contrôleurs du travail, les OPJ, les travailleurs sociaux et le personnel d’appui intervenant dans le pilotage et la gestion.

L’effectif du personnel du secteur, particulièrement celui du MJDHPC, va de façon croissante d’année en année. En effet, de 2358 agents dont 366 femmes en 2010, le secteur a atteint un effectif de 3731 agents (3019 hommes et 712 femmes en 2016), soit une augmentation de 58,22% sur une période de 6 ans[36]. Dans la gestion des ressources humaines, le secteur dispose d’un programme triennal spécial de recrutement de magistrats, de personnel du corps des greffiers et de la GSP et d’un plan de renforcement des capacités des ressources humaines[37].

 En matière de motivation des acteurs, des efforts ont également été consentis. Il s’agit notamment, de l’adoption des statuts des différents corps de métiers de la justice (Magistrats, greffiers et GSP), des distinctions honorifiques et des lettres de félicitation dont bénéficient les agents. Par ailleurs, les conférences annuelles des différents corps du secteur permettent d’harmoniser les pratiques professionnelles des acteurs et de créer une synergie d’action. Nonobstant les progrès relevés ci-dessus, l’analyse diagnostique des ressources humaines met en évidence des faiblesses qui impactent négativement l’atteinte des résultats du secteur.  

En effet, les effectifs du secteur ne sont pas suffisants pour exécuter de façon optimale les missions qui lui sont dévolues. Pour assurer le fonctionnement efficace d’une juridiction comme un Tribunal de grande instance, en respectant le principe de la collégialité, il faudrait au moins 5 magistrats dont 3 juges au siège, un du parquet et un juge de l’instruction. Cette collégialité est mise à rude épreuve dans plusieurs juridictions du pays du fait de l’insuffisance du personnel[38].

Aussi, l’insuffisance d’auxiliaires de justice et d’interprètes dans les juridictions est un frein à l’accomplissement de l’œuvre de la justice ; car tout comme les greffiers, la présence en nombre suffisant d’interprètes judiciaires et d’auxiliaires de justice au sein des juridictions garantit le bon déroulement des procès. Le nombre d’interprètes judiciaires en 2016 était de 34 et il ne comporte toujours pas de cadre supérieur. Toujours en matière de recrutement du personnel judiciaire[39], les effectifs souhaités ne sont pas parfois atteints dû notamment au fort taux d’échec aux concours.

Il faut également relever l’absence de plan de carrière pour certaines catégories de personnels. Par ailleurs, les procédures d’affectation des personnels spécifiques du ministère ne tiennent pas suffisamment compte des besoins réels des structures. En outre, en vue d’accroitre l’efficacité du personnel, les curricula de formation ont besoin d’être relus pour mieux les adapter aux besoins actuels. Un besoin de spécialisation s’avère également nécessaire pour les acteurs.

Ensuite et concernant le renforcement de l’accès à la justice pour tous[40] et le respect des droits humains[41],  l’amélioration des performances du secteur implique un meilleur fonctionnement de l’ensemble des structures, ce qui nécessite un renforcement des capacités en ressources humaines, matérielles et financières. En outre, le système de contrôle, de communication et de suivi-évaluation doit être renforcé.

Spécifiquement, l’amélioration des performances du système judiciaire passe par la réduction des délais de traitement des dossiers et de délivrance des actes au moyen de réformes législatives et institutionnelles ainsi que l’informatisation des procédures. Un renforcement de la collaboration entre les acteurs judiciaires et les autres acteurs qui concourent à l’œuvre de justice s’avère également indispensable. De même, il convient travailler à la réduction de la surpopulation carcérale à travers la promotion des mesures alternatives à l’emprisonnement ferme.

Il faut aussi veiller à l’amélioration progressive des conditions de détention[42]. L’accessibilité de la justice suppose que des dispositions soient prises afin que toute personne puisse saisir facilement le service public de la justice à l’effet de faire entendre sa cause ou de se faire délivrer tout acte qu’elle est en droit d’obtenir[43]. Pour ce faire, des actions doivent être entreprises en vue de réduire le rayon moyen d’accès à un TGI, ainsi que les coûts des actes et procédures judiciaires. Aussi, la confiance entre la justice et le justiciable doit être renforcée en mettant l’accent sur la disponibilité de l’information juridique et judiciaire.

Il convient également d’élargir le dispositif d’accès à la justice à travers le développement de services parallèles, notamment la mise en place de points d’accès au droit et de structures alternatives de règlement des litiges. Enfin, un accent particulier sera accordé à la justice pour mineurs.

Concernant l’effectivité des droits humains, l’appropriation des droits humains par tous et l’application des textes y relatifs constituent une base pour une meilleure protection des populations. De ce fait, un accent doit être mis sur l’éducation aux droits humains et le droit international humanitaire ainsi que la vulgarisation des textes législatifs et règlementaires auprès des acteurs publics et privés et de toute la population. L’effectivité des droits humains passe également par leur prise en compte dans les politiques et programmes de développement de même que par la défense des droits humains à travers la protection des droits catégoriels et le respect des engagements internationaux en matière de droits humains et du droit international humanitaire. En outre, il faut œuvrer au rapprochement des services concourant à la promotion et à la protection des droits humains à travers une coordination efficace des actions.

La multiplication des actes d’incivisme et de violence s’expliquent par l’insuffisante appropriation par les populations des valeurs de citoyenneté et de paix. L’éducation de la population à ces valeurs est une condition sine qua nonpour asseoir le Burkina Faso sur les principes qui fondent l’intégrité et la cohésion de son peuple. Il s’agira donc d’engager l’ensemble des acteurs publics et privés en faveur du renforcement des actions d’éducation et de mise en œuvre des réformes juridiques et institutionnelles nécessaires à la consolidation d’une conscience nationale, à la préservation de la paix et à la cohésion sociale.

Voyons maintenant les effets de ces reformes sur le fonctionnement de la justice et sur les moyens mis à la disposition des juges.

Les effets de la reforme

Ces effets sont perceptibles sur divers plans et il est indéniable que des progrès ont été accomplis dans le domaine de la justice depuis 2015 au Burkina. Mais deux aspects retiennent particulièrement l’attention parce qu’ils montrent bien les progrès enregistrés par le Burkina dans son secteur de la justice depuis l’amorce des reformes. Il s’agit d’abord du fonctionnement de la justice (1). Ensuite, il s’agit des moyens mis à la disposition des juges (2).

(La suite dans notre prochaine parution)


[1] CNRR, Rapport général de la CNRR, Première partie : « Etat de la nation », Ouagadougou, 2015, p.17.

[2] Gérard Philippe, Droit et démocratie, Saint-Louis, Presses de l’Université de Saint-Louis, 1995, pp.299-318.

[3] Pour une approche comparée, Cf. Mélanie MANTELLI, L’indépendance de la justice en France et en Italie, Thèse, Université de Bordeaux, 2022, 579p.

[4] Jean du Bois de Gaudusson, « La justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux acteurs », Afrique contemporaine 2014 n°250, pp.13-28

[5] CNRR, Rapport général, deuxième partie : Les voies du renouveau, Ouagadougou, mars 2015, p.76

[6] Desmond Tutu cité par Salif Yonaba in « La réconciliation nationale en question : quelle réconciliation ? et pour quelle Nation ? », journal Liberté n°14, septembre 2000, p.20.

[7] Michèle Guillaume-Hofnung, « Tentative de clarification : la médiation et les modes de règlement non juridictionnels des litiges », La Médiation, 2012, pp.48-64

[8] Niagalé Bagayoko, Fahiraman Rodrigue Koné, Les mécanismes traditionnels de gestion des conflits en Afrique Subsaharienne, Rapport de recherche n°2, Université du Québec à Montréal, Juin 2017, 60p. 

[9] Julie Joly-Hurard, Julia Vanoni, La déontologie du magistrat 4e éd, Paris, Dalloz, 2020, 284p.

[10] Etats Généraux de la Justice, Pacte pour le renouveau de la Justice, Ouagadougou, mars 2015, 23p.

[11] Pierre Claver Millogo, « La séparation des pouvoirs. Etude comparative et analytique », Revue du CAMES, Juillet 2022, pp.390-416.

[12] Pierre Claver Millogo, Le droit au procès équitable à l’épreuve de la répression du terrorisme international : apports et influences de la Cour européenne des droits de l’Homme, Ouagadougou, Harmattan, 2017, 216p.

[13] Salif Yonaba, Indépendance de la Justice et droits de l’Homme, Leiden, Pioom éditions, 1997, 155p.

[14] Ces réformes ont été mises en œuvres par le régime de la Transition burkinabè de 2015 puis consolidées par le régime du Président Roch Kaboré qui lui a succédée.

[15] Certains magistrats avaient été victimes de retenues de salaires pour faits de grèves et certaines primes et indemnités avaient été revues à la baisse notamment par les décrets de 2016 et 2020 par le régime Kaboré. Mais elles seront remises en place selon une promesse de la Transition militaire de 2022.

[16] Un récent conseil des ministres a proposé en délibération en juillet 2022 d’instruire le garde des sceaux afin que les dossiers pendants devant cette juridiction soient instruits et jugés.

[17] Frederique Farouz-Chopin, La lutte contre la corruption, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2003, 380p.

[18] Olivier Beauvallet, « La lutte contre l’impunité. Concept et enjeux modernes de la promesse démocratique », in Les Cahiers de la justice, 2017, n°1, pp.15-27

[19] Julie Joly-Hurard, JuliaVanoni, La déontologie du magistrat op. cit., 284p.

[20] Pour une approche en droit comparé, Cf. Moussa Samb, « L’accès des justiciables à la justice au Sénégal. Vers une justice de proximité ? », in Afrique contemporaine 2014, n°250, pp.82-83.

[21] Pierre Claver Millogo, Le droit au procès équitable à l’épreuve de la répression du terrorisme international op. cit., 216p. ; Ibid, Les limitations des droits fondamentaux en période de lutte contre le terrorisme, Ouagadougou, ed. Doff productions, 2021, 160p.

[22] Ministère de la justice des droits humains et de la Promotion civique, Politique sectorielle Justice et droits humains 2018-2027, Ouagadougou, décembre 2017, 88p.

[23] Isabelle Saliou, « La justice dans la transition politique au Burkina », in Délibérée, n°5 2018, pp.64-69.

[24] Aboubacar Dakuyo, « Insurrection populaire et justice transitionnelle au Burkina : entre dynamique « révolutionnaire » et réalisme politique, in Politique et sociétés, n°2, vol.38, 2019, pp.27-56.

[25] Enagnon Gildas Nonnou, « Le conseil supérieur de la magistrature et l’indépendance du pouvoir judiciaire dans les Etats francophones d’Afrique », in Les cahiers de la justice, n°4, 2018, pp.715-733.

[26] Cf. www.conseil-constitutionnel.gov.bf.

[27] Salif Yonaba, Indépendance de la justice et droits de l’Homme, op. cit., 155p.

[28] Etats généraux de la justice, Pacte pour le renouveau de la justice, op. cit., 23p.

[29] Sur ce point des avancées notables ont été enregistrées sous la transition de 1015, le régime Roch Kaboré et depuis le début de la transition de janvier 2022 et déjà mentionnées dans les pages précédentes de cette étude.

[30] Eric Alt et Marie-Astrid Le Theule, « La justice aux prises avec l’éthique et la performance », in Pyramides n°22, 2011, pp.137-159.

[31] Pour une approche en droit comparé, Cf. Boniface Kabanda Matanda, La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Paris, Harmattan, Juin 2018, 540p.

[32] Pierre claver Millogo, Le droit au procès équitable à l’épreuve de la lutte contre le terrorisme international op. cit., 216p.

[33] Cette situation traduit une accumulation du nombre d’affaires civiles et commerciales en attente de jugement. Concernant le taux de rédaction des décisions civiles et commerciales, il est de 77,7% pour l’ensemble des TGI. Dans cette matière, plus de la moitié des TGI ont rédigé au moins 95,7% de leurs décisions. Pour ce qui est du nombre moyen de décisions civiles et commerciales rendues par magistrat en 2016, il est de 44

[34] La proportion des décisions rédigées en 2016 dans cette matière est de 54,4%. Ainsi, près de la moitié des décisions correctionnelles n’a pas été rédigée. Cette situation impacte négativement l’exécution des décisions de justice. S’agissant du nombre moyen de décisions rendues par magistrat au niveau des chambres correctionnelles des TGI, il est de 23,3 en 2016.

[35] Pour une approche en droit comparé, Cf. Abdourahamane Oumarou Ly, L’accès à la justice au Niger. L’autoreprésentation devant les juridictions, Paris, Harmattan, Juin 2021, 144p.

[36] L’évolution du personnel du secteur selon le sexe, laisse apparaitre un effectif plus élevé des hommes par rapport à celui des femmes (19%) pour l’ensemble des corps de 2010 à 2016. Au cours de la même période, les effectifs du personnel de sexe féminin de la Garde de sécurité pénitentiaire sont plus élevés que pour ceux des autres corps du MJDHPC. 

[37] En outre, la prise en charge de la formation initiale du personnel magistrat, greffier et des droits humains à l’ENAM et du personnel de la GSP à l’ENGSP et des avocats au centre de formation professionnelle des avocats du Burkina permet au secteur de disposer de ressources humaines qualifiées pour la réalisation de ses ambitions.

[38] En 2016, le ratio magistrats/habitants, était de 2,4 magistrats/100 000 habitants pour une norme de 10 magistrats/100 000 habitants. Quant au ratio détenus/GSP, il était de 5,3.

De même, le ratio de 3 greffiers par magistrat qui permet de garantir un fonctionnement efficace des tribunaux est loin d’être atteint. Actuellement, le nombre de magistrats en juridiction est largement supérieur à celui du personnel du corps des greffiers. Il est de 431 magistrats contre 382 greffiers en 2016 soit un ratio de moins de 1 greffier pour 1 magistrat (0,9 greffier/1 magistrat).

[39] Serge Guinchard et autres, Institutions judiciaires, 7e éd., Paris, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », 2003.

[40] Filiga Michel Sawadogo, « L’accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives : les cas du Burkina », in Revue juridique et politique : indépendance et coopération, vol.49, n°2, 1995, pp.167-212.

[41] Caroline Sagesser, « Les droits de l’Homme », in Dossiers du CRISP, n°73, 2009, pp.9-96.

[42] Conseil de l’Europe, Les droits de l’Homme dans les prisons et formation professionnelle du personnel pénitentiaire, Strasbourg, éd. Du conseil de l’Europe, 1998, 177p..

[43] Pierre Claver Millogo, Le droit au procès équitable à l’épreuve de la répression du terrorisme international, op. cit., 216p.

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